Dire de Hellblade premier du nom qu’il est un jeu rétro, en 2024, est un affront, pour ne pas dire une provocation, nous en conviendrons. Et pourtant, force est de constater que le jeu de Ninja Theory acclamé par la critique a déjà…7 ans. Oui, oui 7 ans, tout comme The Witcher 3 fêtera ses 10 ans l’année prochaine (pour le coup de vieux, c’est un cadeau de la maison, ne me remerciez pas). Et en 7 ans, dans l’industrie du jeu vidéo, tout peut changer. Les jeux, leur proposition mais aussi les joueurs, leurs goûts et leur façon d’approcher un jeu. Quoi qu’il en soit, à quelques semaines de la sortie de Senua’s Saga: Hellblade II, qui, rappelons le, sort le 21 mai prochain, il était temps pour moi de découvrir ce pourquoi cette suite est tant attendue.
Hellblade Senua’s Sacrifice a souvent été considéré, avant sa sortie, comme étant une suite spirituelle à l’excellent Heavenly Sword, sorti sur PS3 en 2007 (le coup de vieux est réel). La faute à un nom assez équivoque (Heavenly =\= Hell, Sword/Blade), et un personnage principal qui aurait pu être la version adulte de Kaï, la camarade de route de Nariko. Mais il n’en est rien, Hellblade est bien une nouvelle licence sans rapport aucun avec le beat’em all précédemment cité (ceci ayant été confirmé par les développeurs eux-mêmes).
Tout premier titre développé et auto édité par le studio britannique, Hellblade était aussi le premier jeu considéré comme un « AAA indépendant ». Aux commandes de seulement une vingtaine de personnes, le jeu s’est orné de graphismes haut de gamme, tant en termes de décors que dans la motion capture, sans parler de sa réalisation, elle aussi particulièrement poussée. Mélangeant la motion capture à des prises de vue réelles, le résultat visuel est spectaculaire.
Depuis plusieurs années, le jeu vidéo s’efforce de mettre en avant des thèmes jamais traités auparavant ou en de très rares cas. Récemment, on peut citer par exemple Lost Judgment qui traite avec brio le harcèlement scolaire et ses conséquences ou encore le très touchant Inner Ashes dont le thème principal est la maladie d’Alzheimer. Hellblade quant à lui se veut tout aussi poignant, mettant en scène une jeune femme, Senua, atteinte de psychose, propulsant le jeu en précurseur dans son domaine. Mais pour être crédible dans son message, rien n’est ici laissé au hasard. Il a fallu tout d’abord trouver un univers: celui des Celtes et des Nordiques (autrement dit, les Vikings). Je pourrai vous faire tout un topo sur l’écriture seule de Senua qui est d’une densité et d’une précision quasi chirurgicale pour la comprendre ainsi que sur la cohérence avec le sujet traité, mais le studio en parle nettement mieux que moi dans son « making-of », que je vous invite à regarder de toute urgence.
Senua est une femme meurtrie par le deuil de son bien-aimé, Dillion, sacrifié pour les dieux, et hantée par un mal qui lui ronge l’esprit. En quête de vengeance, la guerrière se met en route pour sauver l’âme de son amant et défier ceux qui l’ont assassiné. Mais le chemin qui l’attend est une réelle bataille, contre ses ennemis et contre elle-même.
Pour écrire et mettre Hellblade en scène, Ninja Theory s’est rapproché de professionnels de la santé mentale, de scientifiques, dont Paul Fletcheen, psychiatre et professeur, ainsi que de personnes vivant avec la maladie, des personnages qui maîtrisent ce sujet, particulièrement difficile à traiter, à même de les aiguiller dans la structure du jeu ainsi que son game design. Et il est incontestable que dans son exécution, Hellblade Senua’s Sacrifice est un chef d’œuvre d’écriture et d’émotions.
Mais aussi sublimement soit-il écrit, Hellblade ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui sans Senua, prodigieusement interprétée par Melina Juergens. D’origine Allemande, celle qui est devenue cette guerrière picte occupait initialement le poste de monteuse au sein de Ninja Theory. Alors que l’actrice qui était préposée au rôle de Senua quitte brutalement le projet en début de développement, Melina Juergens est missionnée d’aider l’équipe de développement pour des tests de la motion capture. Elle s’adonne donc à jouer des scènes du jeu émotionnellement fortes, notamment. Le résultat est sans appel, pour Tameen Antoniades, le réalisateur du jeu, le rôle est fait pour elle. Et il avait vu juste.
Melina Juergens nous propose dans Hellblade une prestation incroyable. Comme habitée, voire même possédée par son personnage, elle est Senua, et son jeu d’actrice est déroutant. Ses regards, ses réactions, ses larmes, sa force, ses faiblesses, mais aussi ses sourires et parfois même sa candeur, le réalisme du personnage de Senua est d’une intensité rare, parfois même malaisante tant on s’immerge dans son périple à travers sa réalité du monde qui l’entoure, brisant maintes fois le quatrième mur. Une prestation unique qui ne démérite, jamais, les nombreux prix que l’actrice a reçu.
Mais Hellblade est aussi un jeu qui sait jouer sur les sens, ceux de ses joueurs. D’un point de vue visuel au travers de ses nombreuses illusions qui fourmillent dans ses énigmes, ses effets en tous genres omniprésents, mais aussi sonore. Tout au long du jeu, nous découvrons ce que ressent Senua, ce qu’elle entend. Des voix. Constamment, des voix lui parlent et se parlent entre elles. Parfois pour l’aider (notamment durant les combats pour nous donner des indications), souvent pour la déstabiliser. Et puis il y a cette voix, qui se démarque de toutes les autres. Rauque, inquiétante, mauvaise dans son intonation et ses propos. Le sound design de Hellblade nous accompagne sans relâche, jouant avec nos nerfs, avec notre patience, avec nos peurs. Enfin, Hellblade sait aussi jouer avec le toucher au travers de notre manette et ses vibrations, surtout lors de la résolution des énigmes, pour nous dire « Là! ». Le jeu de Ninja Theory joue sur tous les tableaux pour nous immerger à 3000%, pour nous mettre dans la peau de Senua.
L’OST de David Garcia et Andy LaPlegua est elle aussi au cœur de notre aventure. Les pistes qui m’ont le plus marquées sont celles aux mélodies très « vikings », dont les voix graves font toute l’identité de ce genre musical. Présentes particulièrement lors des combats, elles permettent de renforcer la haine, et représenter la dangerosité de nos adversaires, et leur présence, pour ne pas dire prestance.
Sept ans après sa sortie, l’impact de Hellblade est toujours aussi palpable et fait, à mon sens, partie de ces jeux qui deviennent intemporels par le message qu’ils délivrent. Le jeu de Ninja Theory est unique en son genre, par son thème, par sa réalisation, son sound design, et grâce à son personnage principal. Et il n’y a pour moi aucun mot assez fort qui représenterait réellement le jeu. Impactant, oui, poignant, encore plus, prodigieux, sans l’ombre d’un doute, mais il est aussi magnifique, visuellement (c’en est même insolent 7 après sa sortie), mais surtout magnifiquement respectueux de son thème, dont l’écriture est d’une justesse indéfectible. C’est un fait, jouer à Hellblade c’est accepter de livrer une bataille, physique et psychologique. On lui accordera certains passages profondément malaisants, en fonction de nos limites, qui nous sont propres, mais qui ne traversent jamais le seuil de l’intolérance, de frontière infranchissable. Malaisant mais jamais malsain. Hellblade est un jeu d’un respect immense, pour ses joueurs mais aussi pour son thème et ce qu’il implique, une voire plusieurs maladies qui nous échappent parfois. Il fait partie de ces jeux qui ne laissent pas ses joueurs indemnes après les avoir terminé. Maintenant, je comprends.
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