Juin 2015, Shenmue est sur le point d’être sauvé. Lors de la conférence Playstation à l’E3, le troisième épisode de la saga culte est enfin officialisé. Les coeurs s’emballent, la foule s’extasie devant l’apparition de Yu Suzuki en personne sur la scène, et les joueurs répondent à l’appel pour soutenir leur licence fétiche. Malgré un retour de Shenmue et Shenmue II à l’été dernier sur nos consoles pour nous faire patienter, l’attente des fans fut presque interminable, mais Shenmue III est enfin une réalité depuis le 19 novembre dernier, après 16 ans d’absence. En 2019, la saga peut-elle aspirer à garder son titre de révolution d’antan?

Avant toute chose, je souhaite remercier Koch Media France pour l’envoi de la version physique du jeu sur PS4 et pour l’incommensurable confiance qu’ils m’ont accordé quant à l’écriture de cet avis.

1. L’histoire sans fin

Vous souhaitez commencer la saga avec ce troisième épisode? Pas de problème, Yu Suzuki a pensé à tout et vous propose un petit récapitulatif vidéo des 2 premiers Shenmue.

Shenmue III démarre là où son prédécesseur s’est arrêté. Ryo et Shenhua entrent dans une grotte où ils y découvrent une fresque à l’image des miroirs du Phénix et du Dragon. Mais pour trouver des réponses ils doivent se rendre à Bailu, le village natal de la jeune femme, et interroger M. Yuan, tailleur de pierre réputé et père de Shenhua. Mais dès leur arrivée, leur objectif est remis en cause suite à la disparition mystérieuse du seul homme capable d’aider Ryo, qui crie toujours vengeance après le meurtre de son père.

Comme à ses habitudes, la narration de Shenmue se veut discrète et avance à petits pas vers son objectif, ici, retrouver coûte que coûte le père de Shenhua. Le jeu se transforme en enquête qui nous amène à arpenter Bailu puis plus tard la ville de Niaowu. On questionne les habitants, au début un peu au hasard en attendant d’avoir de nouveaux indices pour avancer. Malheureusement, le scénario reste sans surprises, sans réels rebondissements et sans véritable sujet accrocheur. Il tente de répondre à certaines questions et à approfondir un peu l’histoire du père de Ryo, sans se lancer dans le détail.

Sans langue de bois, je me suis ennuyée. Shenmue III ne m’a rien apporté de plus en termes de narration et d’intérêt quant à ses 2 prédécesseurs. J’attendais de lui qu’il soit plus vivace, mieux écrit, plus poignant. Rien n’a été au rendez-vous. Sauf, la dernière demie heure. Plus intense que le reste du jeu, plus intéressante, bref, meilleure, mais le ratio n’en reste pas moins mauvais pour 30h de jeu et on arrive finalement à rester indéniablement sur notre faim.

2. Retour vers le passé

Et devant la pauvreté du scénario, j’espérais que Shenmue III se rattrape manette en main. Là encore, ça pique. Dans une certaine mesure, on aime retrouver les mécaniques qui ont fait toute l’identité de la saga: le système de temps « réel » ou encore le réalisme de mener une vie en dehors de la trame principale. On garde également les déplacements plutôt lourds d’époque mais si ce n’était que ça. Aussi invraisemblable cela puisse être c’est dans ses nouveautés que Shenmue III se plante le plus.

On y découvre une barre d’endurance/de vie qu’il faudra augmenter grâce à des entraînements intensifs au kung-fu. Rien de foncièrement choquant à première vue et pourtant l’utilisation qui en est faite nous fait vite déchanter. Le temps qui passe, le simple fait de courir et votre endurance fond comme neige au soleil. Ainsi, le jeu se transforme vite en simulateur de métro, boulot, dodo nous obligeant à passer par les différents petits boulots disponibles ou par les jeux de hasard pour gagner un peu d’argent et assumer les dépenses quotidiennes. Si cela aurait pu ajouter un certain cachet au jeu, un réalisme plus ou moins appréciable, Yu Suzuki en est arrivé à nous imposer à farmer des sommes astronomiques si on veut avancer dans l’histoire et ainsi passer des jours entiers (in-game fort heureusement) à faire les mêmes activités sans relâche sur lesquelles j’éviterai de m’attarder quant à leur intérêt.

On s’adonnera également à quelques phases de combats. Si elles ne présentaient déjà pas spécialement un point fort de la licence, elles en sont devenues quasi incompréhensibles à maîtriser dans cette suite et prennent une tournure de jeu de combat. Quand on connaît le passé de Yu Suzuki, ce n’est pas étonnant mais le gameplay n’en est pas moins discutable. D’ailleurs, j’en ai préféré passer en mode facile tellement je me sentais impuissante face aux coups de mes adversaires et ai préféré abuser des raccourcis de techniques de la touche R2. La maîtrise du kung-fu prend une place très importante dans le déroulement de l’aventure, on passe donc beaucoup de temps dans les arènes d’entrainement pour augmenter les 3 niveaux indispensables à notre réussite: kung-fu, endurance et puissance de frappe. Mise à part l’endurance qui présente une réelle utilité si on veut arpenter les zones du jeu sans trop se soucier de manger ou se reposer, le reste semble plus anecdotique et seules les nouvelles techniques à maîtriser maintiennent notre intérêt. On retrouve également quelques phases de QTE, qui mettent à mal vos réflexes et votre connaissance de votre manette. On a beau appuyer sur la bonne touche, notre temps de réaction doit être au dixième de seconde près.

En d’autres termes, c’est la répétitivité et la monotonie qui façonnent Shenmue III. Bien que j’ai découvert les premiers opus tardivement grâce à leur remasterisation l’an dernier, cela ne me dérangeait pas plus que ça, j’avais le recul nécessaire vu leur grand âge, mais dans Shenmue III, sorti en 2019, j’ai beaucoup plus de mal à passer outre.

3. Une identité visuelle

Aussi étonnant cela puisse être, le plus gros point fort de Shenmue III a été pour moi son rendu visuel, bien que tout soit relatif. On est bien loin d’un rendu AAA et le jeu manque cruellement de détails visuels et pourtant on lui trouve une beauté certaine quant à ses décors. Bailu, et sa nature dépaysante, Niaowu et son aspect traditionnel, malgré la lourdeur de notre aventure, on ne peut qu’admirer les paysages. Malheureusement la découverte est de courte durée, les 2 uniques zones du jeu étant à mon goût beaucoup trop petites et donnant une fois de plus une impression de tourner en rond.

A côté de ça, on note un nombre incalculable de chutes de FPS, admettons, mais surtout un character design risible. Si on accepte l’absence émotionnelle sur les visages de Ryo et Shenhua ou d’autres personnages secondaires (dont je tairai les noms), on leur accorde une certaine prestance et un charisme dissimulé mais malheureusement trop peu exploités (je pense notamment à notre compagne de route lors d’une certaine scène à Bailu). Pour ce qui est des PNJ disséminés dans les villes, il n’y en a pas vraiment un pour rattraper l’autre et on se retrouve presque face à de la caricature.

En termes de bande son, Shenmue III nous plonge dans un univers musical qui lui est propre mais c’est sans noter que les musiques tournent en boucle si on ne se décide pas vite fait à changer de quartier au risque d’en avoir plein les oreilles au bout de quelques minutes. Quant aux doublages, je me suis essayé à la version anglaise pour une fois mais ai vite rechanger la version japonaise. Des dialogues monotones, peu voir aucune intonation de voix et c’est sans parler de la répétition des échanges. Si la version anglaise fait partie intégrante des versions européennes de la licence et de son identité, les « I see« , « Excuse me » de Ryo ont eu sur moi un effet d’overdose. Le bon côté? Les sous-titres français sont présents et ça, ce n’est pas négligeable.

Alors que je faisais partie de ces joueurs heureux de voir Shenmue revenir d’entre les morts, surtout pour les fans qui ont attendu 16 longues années, je ne m’attendais pas à un retour aussi décevant. Dans les grandes lignes, Shenmue III a gardé l’identité de ces prédécesseurs, au détriment de le rendre plus actuel. Un scénario trop peu présent, une mise en scène quasi inexistante, un gameplay lourd et répétitif, un monde ouvert qui se dévoile trop petit, tout ce qui avait fait la renommée de Shenmue subit maintenant le poids des années et Yu Suzuki ne semble pas avoir eu l’idée de faire évoluer sa licence ou en tout cas pas à la hauteur des espérances. Là où il a su m’épater contrairement à bon nombres de joueurs, est dans sa qualité graphique certes en deçà des dernières super productions vidéo ludiques mais étonnamment dépaysante malgré son character design dans les choux. Mis bout à bout, il est dommage de lui trouver plus de défauts que de qualités. Malheureusement, j’ai peur que Shenmue III n’arrive à réellement séduire qu’une poignée de joueurs.

Les plus

  • Une direction artistique dépaysante
  • Les 30 dernières minutes de jeu
  • Bailu et Niaowu, entre nature et traditions

Les moins

  • Un chara-design caricaturé
  • Un scénario beaucoup trop lent
  • Le gameplay lourd et molasson…
  • …qui slalome avec des QTE déraisonnables
  • La répétitivité des activités
  • Le système financier abusé
  • Des personnages inexploités
  • Et bien d’autres…