Sorti depuis le 30 juin dernier, Inner Ashes, le tout premier jeu du studio espagnol Calathea Game Studio, une toute petite équipe de moins de 20 personnes, et édité par SelectaPlay, spécialistes dans l’édition de jeux indépendants en tous genres, est une expérience atypique autour d’un thème qui l’est tout autant dans ce format: la maladie d’Alzheimer, mêlant « walking simulator » à la première personne et résolution de puzzles. Disponible sur toutes les plateformes, je vous propose aujourd’hui mon avis sur cette courte expérience forte en émotions. Je tiens à préciser que je ne maitrise pas particulièrement le sujet et n’ai pas de vécu, de passé, de connaissances de cette maladie.
Conditions de test:
- Version numérique sur Nintendo Switch
- Fournie par l’éditeur
- Temps de jeu: entre 4 et 5 heures
- Histoire terminée: oui
- Complétion totale: 100% avec tous les documents et dessins trouvés
- Mode de jeu: docké
En France, ce sont pas moins d’un million de personnes qui sont atteintes de cette maladie. En 2020, ce sont environ 8% de personnes de plus de 65 ans qui auraient été atteint de cette maladie et on comptabilise chaque année, toujours en France seulement, environ 225 000 nouveaux cas. Une maladie qui touche donc beaucoup de patients et beaucoup de familles.
Nous incarnons Henry, un garde forestier, atteint prématurément d’une terrible maladie, la maladie dégénérative d’Alzheimer, sujet aujourd’hui toujours très peu traité. Inner Ashes propose donc de vivre cette maladie aux côtés de son protagoniste, de le comprendre, tout en suivant son passé aux côtés de sa fille unique, Enid, qui a disparu de sa vie. Le cœur de cette aventure est avant tout de comprendre la maladie, la vivre au quotidien, mais aussi la « traiter » ou en tout cas la stabiliser de façon ludique.
Le jeu du studio catalan ne passe pas par quatre chemins pour rendre cette expérience poignante et déchirante dès ses premiers instants. Entre explications sur la maladie, les formes qu’elle peut prendre et son évolution, ou encore l’histoire touchante d’un père séparé de sa fille. Ainsi, au delà d’un unique thème déjà bien difficile à traiter qu’est cette maladie, Inner Ashes va bien plus loin pour évoquer des thèmes particulièrement forts tels que l’éducation, l’adolescence, l’amour, et j’en passe.
Afin de rentrer dans cet univers particulièrement difficile à mettre en images, le studio a fait le choix de proposer un jeu en « walking simulator » à la première personne traversant la vie quotidienne d’Henry, son esprit et l’imaginaire à travers un livre d’illustrations offert par sa fille. Alternant entre sa maison, parsemée de pense-bêtes pour continuer de vivre une vie « normale » et seul, lui permettant de se souvenir des gestes les plus simples de la vie de tous les jours, et le monde du cahier d’illustrations qui lui permet de faire travailler son esprit et retrouver ses souvenirs, Inner Ashes propose un gameplay simple et intuitif.
Mais ce peut-il que le jeu soit lui-même dédié aux personnes atteintes de cette maladie? En effet, Inner Ashes semble pouvoir s’adresser à des personnes dont la maladie leur est inconnue, de leur permettre de la comprendre et de la vivre indirectement tout en ayant un aspect « thérapeutique » pour celles qui en sont atteintes grâce aux nombreux puzzles en tangram que le jeu propose de résoudre. Le but est de reconstituer une image, une forme grâce à divers pièces de formes différentes. Un exercice fréquemment utilisé pour faire travailler l’esprit des personnes diagnostiquées de cette maladie dégénérative. Dans Inner Ashes, ce sont des formes issues du célèbre jeu des années 80 Tetris qui sont utilisées pour résoudre ces énigmes. Au fil des « niveaux », les énigmes se dévoilent de plus en plus « difficiles » à résoudre, et globalement on leur regrette certaines latences dans la prise des pièces à placer, ainsi qu’un visibilité parfois compliquée liée au choix de couleurs pour les pièces posées. Une option de revenir au début aurait été bien plus intuitive plutôt que devoir sélectionner pièce par pièce.
Au fil des quelques heures que prend Inner Ashes à terminer, il se dessine autour de lui une allégorie de la maladie et de la vie quotidienne de ses patients: la façon de faire travailler son esprit grâce aux puzzles en tangram mais aussi la recherche de souvenirs égarés, ici sous forme de collectibles à retrouver dans le livre d’illustrations. Que ce soit en termes de narration, d’écriture et de gameplay, Calathea Game Studio propose un jeu déchirant et mélancolique.
Visuellement, Inner Ashes se dévoile très simple tout en ayant une direction artistique particulièrement réussie et onirique. D’un côté, la maison d’Henry. Constituée de seulement 3 pièces, elle est sa vie quotidienne avec ses post-it de rappel, qui changent au fil de l’évolution de la maladie, ses souvenirs au travers de photos posées sur les meubles ou clouées aux murs. L’environnement se veut être minimaliste pour la sécurité de son hôte et sa tranquillité de vie et d’esprit.
Mais c’est dans le monde du livre d’illustrations que nous passons le plus clair de notre temps. Des environnements variés, parfois particulièrement colorés, d’autres beaucoup plus sombres, des zones plus petites, d’autres plus vastes. Outre sa partie purement graphique enchanteresse, la diversité de ses environnements est un véritable appel à l’évasion.
Malheureusement, l’aspect technique se voit parfois entaché de quelques faiblesses. Dans la maison, par exemple, le clipping sur les côtés est omniprésent à chaque fois que l’on tourne la caméra. De plus, on note une certaine lourdeur dans le déplacement d’Henry, moins frappant dans les petites zones mais qui se dévoile bien plus évident dans les grandes zones.
Son OST en revanche est impeccable, douce et apaisante. Les doublages quant à eux sont également très qualitatifs, même en anglais, avec parfois un léger accent hispanique mais ne font aucun défaut aux propos du jeu ni même à l’immersion.
Si on prend Inner Ashes pour un simple jeu vidéo, nul doute qu’il peut parfois s’avérer peu passionnant. Un walking sim qui ne demande qu’à résoudre quelques énigmes et trouver des collectibles ne conviendra pas forcément à tout le monde. Mais c’est son message de fond et le traitement de ses thèmes qui en font un jeu particulièrement touchant et unique en son genre. L’utilisation des puzzles en tangram ou encore la recherche de souvenirs, sont des exercices fait quotidiennement par les personnes atteintes de cette maladie. On peut d’ailleurs imaginer que son approche peut être faite par des personnes qui souhaitent mieux comprendre cette pathologie qu’est Alzheimer mais aussi potentiellement par des personnes atteintes de la maladie et peut servir à faire travailler leur esprit de façon ludique et originale (en effet, les touches sont constamment affichées à l’écran, on peut donc facilement imaginer une certaine utilité pour une personne diagnostiquée). On lui regrette quelques faiblesses techniques, notamment le clipping omniprésent dans la maison sur les côtés de l’écran. Pour son aspect visuel et sonore, Inner Ashes se veut être apaisant et posé, tout en simplicité. Il est un jeu aux vertus de compréhension d’un sujet particulièrement lourd et parfois difficile à comprendre.
Les plus
- Le sujet de base: la maladie d’Alzheimer
- Une histoire poignante et touchante
- Comprendre une pathologie de façon ludique
- Les environnements du livre d’illustrations
- L’OST apaisante
- Prix doux à sa sortie: 14€99 maximum conseillé
Les moins
- Le clipping dans la maison
- Une visibilité parfois difficile dans les puzzles
Merci pour cette belle découverte et pour ton test !