A l’approche de la sortie de Caravan SandWitch, fixée pour le mois de septembre, le studio Plane Toast a accepté de répondre à quelques questions, totalement à cœur ouvert, pour mieux les connaitre mais aussi mieux comprendre leur tout premier jeu. Pour rappel, Caravan SandWitch sortira sur PC, Nintendo Switch et PlayStation 5.
Bonjour et merci du fond du cœur d’avoir accepté de répondre à quelques questions pour nos lecteurs. Pouvez-vous nous raconter l’histoire de votre studio, Plane Toast?
Merci à vous ! On a fondé ensemble (Adrien & Émi) Plane Toast en 2021, mais ça fait des années qu’on créé des jeux. On s’est rencontré en seconde et on a participé à de nombreuses game jam. Au moment de partir en études supérieures, on a décidé de se lancer dans un dernier jeu à faire pendant l’été. L’idée nous est venue en nous baladant dans le Verdon, on voulait faire un truc tranquille, où on conduirait une petite caravane dans des paysages de Provence. Spoiler, ça ne s’est pas fini en deux mois ! On a dû mettre le jeu en pause et on complétera ce prototype que deux ans plus tard. Mais cette première version ne nous a pas convaincus, et on s’est mis en tête de quitter nos études pour en faire un nouveau. On a d’abord fait un petit jeu de 20 minutes puis une verticale slice (NDLR: c’est une partie d’un jeu qui sert de preuve de concept aux parties prenantes (éditeur, investisseur, etc) avant qu’elles n’acceptent de financer le reste du projet) de presque une heure qui nous a permis de démarcher des éditeurs. C’est à cette période qu’on a fondé Plane Toast, et après avoir signé l’édition avec Dear Villagers, on s’est lancé dans la préproduction en janvier 2022 ! Il s’en est suivi deux ans et demi de travail et plein de collaborations géniales, avec environ 14 personnes sur le jeu !
Caravan Sandwitch est votre premier jeu. Annoncé lors de l’AG French Direct en mai, une démo qui cartonne lors du Steam Next Fest en juin, vous attendiez-vous à un tel accueil de la part des joueurs ?
Pas du tout ! On a été les premier·ères surpris·es, car c’est un jeu qui a été difficile à définir pendant longtemps, et on ne pensait pas que ça allait toucher un public si large. On a même été persuadé·es pendant des mois que le jeu serait enfoui sous les milliers de sorties actuellement. Mais on pense que c’est un jeu qui vient toucher à un besoin encore très peu comblé aujourd’hui. C’est un wholesome game (NDLR: jeux bienveillants et accessibles) pas trop wholesome, un walking simulator pacifique remplit d’interactions, de la sci-fi post-apocalyptique mais pas dark, pas shooter. Et le jeu est beau, il a une bonne vibe d’été, donc le mix de tout ça a miraculeusement fonctionné ! Avec le travail incroyable de l’équipe et du marketing, des events, on a trouvé notre public et on en est très reconnaissant·es.
Caravan Sandwitch se place dans un univers post-apocalyptique. Quelles ont été vos inspirations (cinématographiques, littéraires, vidéo-ludiques) pour lui donner vie?
Dès le début, on voulait faire une sorte d’anti-Mad Max ! Donc on s’est beaucoup inspiré des films mais en retournant complètement l’idée en faisant quelque chose de joyeux et d’optimiste malgré les difficultés du monde. Ensuite, on a tiré énormément d’inspiration des films de Studio Ghibli, notamment dans la façon dont ils abordent des thèmes sérieux, l’anti-guerre, l’antifasciste, l’écologie, tout en restant positifs. On a voulu se placer à l’opposé du Cyberpunk, encore très répandu, mais qui ne peut qu’être dans la critique dystopique et qui pour nous est insuffisant pour penser la fin du capitalisme aujourd’hui. Mais on s’est surtout inspiré de ce qu’il existe autour de nous, dans le sud de la France. On s’est inspiré de la nature sèche et piquante, des petits villages, des ZAD (NDLR: zones à défendre/zones d’aménagement différé), des mouvements alternatifs, des industries qui ferment, de l’urbex dans des vieilles usines, des projets gargantuesques qui promettent de transformer l’humanité depuis des années (Le projet ITER, à quelques minutes de chez nous). On est convaincus de l’importance de s’inspirer de son environnement pour créer des choses intéressantes. En termes de jeux, on a une longue liste, mais il y a par exemple Alba, pour le coté mini open world dans le Sud, Sable et Beyond Good & Evil pour le gameplay, a Short Hike et Night In The Woods pour les dialogues et Firewatch pour les graphismes !
Quel a été, ou est encore, le plus grand défi que vous vous êtes lancé pendant le développement du jeu?
Il y a eu tellement de défis, de moments terriblement durs, mais concrètement la proposition de départ était complètement farfelue : faire de notre premier jeu un open-world narratif à la troisième personne ?? C’est vraiment de là que viennent tous nos problèmes. Faire fonctionner autant de contenu ensemble, ça demande des connaissances que très peu de gens ont, et que personne ne soupçonne ! Il faut arriver à lier le gameplay, le level design, la narration non linéaire ensemble sur la même carte, rajouter des beaux graphismes et du son et optimiser le tout, c’est beaucoup plus facile à dire qu’a faire. On a dû embaucher presque le double de l’équipe qu’on pensait avoir besoin et ça a mené à d’autres problèmes d’organisation et d’équipe. Donc premier conseil : visez petit, contrôlez votre scope (NDLR: votre effectif) !
Comment Sauge s’est-elle imposée en tant que personnage principal du jeu pendant le processus de développement?
Rapidement en vérité ! Elle s’appelait Halice au début, et le design a beaucoup évolué durant le développement. Mais le concept a toujours été le même, une ado/jeune adulte qui se retrouve perdue sur une planète désertique et qui cherche son chemin. Le but était de faire un personnage parfait pour un voyage initiatique, et avec le temps on l’a de plus en plus défini. Elle retourne sur sa planète natale, et se retrouve donc confrontée à plein d’adultes qui ne l’ont connu qu’enfant. C’est là qu’elle va devoir se positionner et trouver de nouveaux repères sur cette planète où tout a été exploité par le Consortium. Le personnage de Sauge s’est aussi beaucoup construit avec les autres personnages. C’était une volonté de ne pas tout centrer autour du « Héro » mais bien autour d’un cast varié aux origines et aux genres différents, pour mettre en avant la communauté. La diversité est au cœur des valeurs de l’équipe et du jeu, car contrairement à ce que pensent les troll sur internet, il n’y a pas de wokisation du jeu vidéo, c’est surtout que les gens qui les créent ne sont pas que des mecs blancs cis (NDLR: se sentir du même genre que celui que l’on s’est vu attribuer à la naissance) hétéro !
Il y a eu plusieurs versions:
Prototype:
Vertical Slice:
Concept:
Premiers modèles:
Version finale:
Toujours prévu de sortir cette année (la question a été rédigée avant que la fenêtre de sortie ne soit annoncée), comment, en tant que studio indépendant, faites-vous face à la pression, aux difficultés?
On respire très fort ! On a choisi de se concentrer sur ce qu’on faisait pour faire le meilleur jeu possible, même si pendant un moment on était plutôt persuadés que ça allait flopper comme beaucoup de jeux en ce moment. On a eu beaucoup de soutien de la part de notre éditeur, Dear Villagers, sans quoi le jeu n’aurait clairement pas pu voir le jour, car on a eu quand même pas mal de soucis pendant le développement ! Pour l’instant l’avenir est très incertain, on a très peu de visibilité sur les potentielles recettes du jeu, donc on ne prévoit pas grand chose. Il faut dire qu’après plusieurs burnout et difficultés, c’est compliqué d’imaginer autre chose que des vacances. Il ne reste plus que nous deux (Adrien & Émi) dans l’équipe, car nous n’avons pu garder personne, à notre plus grand regret. Mais on sait jamais, peut-être qu’on arrivera à apprendre de nos erreurs et à construire quelque chose de plus sain et de plus pérenne !
Imaginez-vous déjà l’après Caravan Sandwitch (une roadmap post-lancement ou un même un nouveau projet)?
Pour l’instant rien sur quoi on peut communiquer, désolé·e !
Avez-vous envisagé de proposer une version physique de Caravan Sandwitch, notamment pour les versions consoles (que cela soit au lancement ou même ultérieurement)? Comment la question se pose-t-elle quand on est un studio indépendant?
La question se pose, surtout avec l’éditeur qu’on a ! Mais on ne peut pas en dire plus pour l’instant.
Qu’est ce qui caractérise le mieux, d’après vous, le mouvement “Provence-punk”?
On a une relation conflictuelle avec ce terme en réalité ! D’abord, ça se rapproche beaucoup du solar-punk, et ça c’est quand même très bien. Bien que critiquable, le manifeste du solar-punk correspond beaucoup à notre démarche de créer des imaginaires optimistes sur l’avenir. On a clairement essayé de montrer des communautés qui essayent de vivre en harmonie entre elles et avec leur environnement, en consommant peu et local. Malheureusement, la Provence, c’est pas vraiment ça. Outre le fait que ça soit rempli de petits villages d’extrême droite (dans lesquels on a eu la mauvaise idée de passer notre adolescence), c’est aussi quelque chose qui évoque un mode de vie très consommateur (la grande maison de tuiles rouges, une piscine, les vignobles, entre autres) dans une nature très contrôlée (la faune et la flore de Provence ont été extrêmement influencées par les présences de l’humain, à cause des feux, de la consommation de bois, de la chasse, depuis des milliers d’années). Mais on tient quand même beaucoup à la Provence, on en a tiré plein d’inspiration et on continue à y vivre, donc si on doit en tirer quelque chose ce sont ces communautés qu’on y créé, le fait qu’il y fait bon et qu’il y a plein de soleil (on a essayé de le retranscrire dans le jeu)
En tant que développeurs, vous êtes certainement également joueurs. Quel est votre top jeu vidéo (indépendant ou non) français?
Émi : Difficile à dire car j’en aie pas fait tant que ça ! Mais le dernier jeu français que j’ai terminé c’était Road96 de Digixart, et c’était très cool. En plus, Charles, notre directeur artistique, a bossé dessus avant de faire la direction artistique de Caravan Sandwitch, donc c’est vraiment un plaisir pour les yeux et les amateur·ices de textures artsy.
Adrien : Personnellement le studio français qui m’a donné le plus d’heures de fun c’est Amplitude je pense, surtout avec le 4X Endless Legend. Mais il est impossible de passer à côté de Life Is Strange ou Dishonored qui m’ont chacun à leur façon transporté dans des univers narratifs complexes. Et comme Émi, Road96 est probablement le dernier jeu français que j’ai terminé, et qui en plus de me régaler m’a permis de rencontrer le remarquable travail de Charles Boury à la direction artistique avant qu’il ne nous rejoigne sur le projet.
Merci encore d’avoir pris le temps de répondre à nos questions alors que le développement de Caravan Sandwitch se poursuit. Une chose est sûre, on a hâte de mettre nos petites mains dessus!
Merci à vous ! Et si on peut ajouter quelque chose pour les devs qui nous lisent, syndiquez-vous ! Embauchez des personnes diverses, de genre et d’origine ! Résistez ensemble au crunch ! Prenez soin de vous et des autres !